Vers l'infini

Vue de l’exposition à la Biennale de la Photographie 2018, Cour des Chaînes, Mulhouse, BPM, "Attraction(s)", Juin 2018.

Vue de l’exposition à la Biennale de la Photographie 2018, Cour des Chaînes, Mulhouse, BPM, "Attraction(s)", Juin 2018.

Installation, table en bois suspendue, vidéo-projection silencieuse,
5 plans en boucle (8 min), 4 créations sonores à écouter sur mobile (26 min 17) ou chez soi, avant, pendant ou après l’exposition, 2016.


Vers l’infini est issue d’un temps de résidence à Oujda, dans l’Oriental marocain, à la frontière algérienne, en 2016. J'y ai rencontré des maîtres perpétuant la tradition arabo-andalouse de la musique Gharnatie, notamment la famille Thanthaoui. Sur ce terrain, j'ai appréhendé la complexité de la Nouba, séance musicale à la fois savante et populaire. Construite sur une structure stricte basée sur cinq mouvements, progressive, offrant une liberté d’interprétation par les ensembles, la Nouba en appelle à la contemplation et à la joie. Dans cette installation régie par un regard méditatif, j'invite le spectateur à céder à l’attrait d’une adhésion avec le monde et à faire une expérience du sacré.

« Nouba » signifie « alternance », « à tour de rôle », « suppléance », c’est un terme très ancien toujours utilisé ; il désigne « le programme de la séance executée ».
La Nouba est composée de cinq mouvements de différents rythmes, allant du plus lent au plus rapide :
le mcedder (littéralement, « le premier »), le b’tayhi (littéralement « qui s’étale »), le derj (littéralement « l’escalier »), l’inciraf (littéralement « y aller »), le khlass ou mahkhlass (littéralement « fin »).
On dénombre 12 Nouba complètes.
Certains racontent qu’il y en avait initialement 15, d’autres 24 ; pour chacune de heures du jour et de la nuit. On y ajoute parfois une Touchiya (introduction chantée avant chaque mouvement) et l’on peut y retrouver d’autres composantes comme la Kourssi. Certaines composantes ont également disparu ; la transmission était orale, mais à présent, les maîtres du Gharnati sont soucieux de retranscrire et de conserver ces pièces.

Extrait du travail de mémoire « La musique citadine au Maroc Oriental : Le Gharnati d’Oujda », Rim Thanthaoui, sous la direction de MSALI Mohammed, Université Mohammed Premier, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2014.


Capture d’écran issue de la vidéo “Vers l’infini”, séquence des fourmies.

Capture d’écran issue de la vidéo “Vers l’infini”, séquence des fourmies.

Voici le soir qui tombe sur la rivière de Fès.
Quel magnifique spectacle!
J’ai vu alors, assises sur un monticule,
Des jeunes filles à la taille svelte.
Profitant de ce jour printanier,
la coupe à la main elles chantaient en chœur ;
Les filets d’eau, dans les canaux,
scintillaient comme des épées trempées.
Et les norias tournaient sans arrêt,
Tandis que le soleil, humblement, déclinait
derrière les frondaisons.

Traduction d’un extrait de poème chanté lors de la Nouba Hsin (tonique en ré)

Capture d’écran issue de la vidéo “Vers l’infini”, séquence de l’œil de paon.

Capture d’écran issue de la vidéo “Vers l’infini”, séquence de l’œil de paon.

« Le Gharnati c’est l’héritage de la musique et de la poésie arabe que les musulmans ont exporté avec eux au Maroc et dans d’autres pays du Maghreb lors de leur expulsion de l’Andalousie. Sa spécifite est de conjuguer poésie, musique, joie de vivre, coexistence et hymne à la vie. Cela représente pour moi des souvenirs intenses : mon enfance. L’Andalousie, le Flamenco, le Vivre ensemble, la nostalgie. C’est l’Orient et l’Occident. Perpétuer le Gharnati c’est sauvegarder un patrimoine qui appartient à toute l’humanité au regard des textes caractérisés par la fraternité et la joie de vivre. C’est vivre en paix et en sérénité avec l’univers et avec la nature. Il y a toute une philosophie et littérature andalouse qui s’est développée pendant la présence musulmane. »

Extrait d’une discussion avec Jamal sur Facebook messenger, 2018.

« Les voisins et tout le monde chantaient ce genre, surtout les habitants qui vivaient jadis entre les murs de l’ancienne médina, c’est une musique citadine. »

Extrait d’un entretien avec Ahmed Thanthaoui, maître Gharnati Oujdi mené en mai 2016.

« Beaucoup de personnes ont collaboré à la naissance du style populaire andalou ; des arabes, des berbères , des juifs, des maghrébins, des orientaux, il y a même des européens qui y ont contribué, parce que l’Andalousie était un mélange de gens venus de tous horizons. (…) Il n’y avait pas de frontières : des gens circulaient : des savants, des commerçants, des étudiants, … de grands politiciens, circulaient entre la Mahgreb, de l’Andalousie au Maroc, à l’Algérie, à la Tunisie. Ces gens qui circulaient, qui voyageaient, ont toujours apporté avec eux quelque chose ; l’alimentation, l’art de construire, la science, … la musique. (…) À la chute de l’Andalousie, il y a eu une grande migration : les gens se sont sauvés ; chaque groupe de personnes s’est déplacé pour aller s’installer vers Fès, à Rabat, à Tétouan, Tanger, certains sont allés jusqu’à Oujda, par là, ont continué leur route jusqu’à Tlemcen, … d’où les différentes écoles de Gharnati… »

Extrait d’un entretien avec Ahmed Thanthaoui, maître Gharnati Oujdi mené en Mai 2016.